L’hygiène à Versailles aux XVII è et XVIII è siècles

L’hygiène à Versailles aux XVII è et XVIII è siècles.
Par Damien P.

On a souvent dit que Versailles était le royaume du nauséabond et du manque d’hygiène.
Au XVIIe siècle les courtisans ne bénéficiaient pas de commodités fixes comparables à celles d'aujourd'hui. Pour autant, et contrairement à ce qui est souvent rapporté, on ne se soulageait pas sous un escalier ou dans un endroit plus ou moins discret. Des porteurs mettaient à disposition des seaux pour assurer quelque commodité, moyennant une petite rétribution. Compte tenu de la foule admise dans la maison du Roi, cela n’empêchait pas évidemment quelques comportements peu civils… mais de là à en faire une généralité…
Par contre, il est prouvé que de nombreuses mauvaises odeurs envahissaient par ailleurs le château :
les chevaux qui avaient galopé ainsi que la transpiration de leurs cavaliers.
les chèvres ou vaches que l'on amenait jusqu'aux appartements des princesses pour le lait.
les courtisans entassés qui se méfiaient de l'eau chaude.
Pour masquer ces odeurs fortes, on parfumait la crasse de patchouli, de musc, de civette, de tubéreuse etc. La diffusion des parfums se faisait par : des soufflets des pastilles à brûler. des cassolettes contenant de l'eau de mille fleurs. les gants parfumés que l'on se procurait chez le gantier parfumeur.

Propre comme le Roi soleil
Un fait est certain, pendant longtemps, pour la médecine, l'eau est suspecte : elle peut contenir les germes de maladies contagieuses. La toilette sèche est recommandée. Avec un linge (toile d’où « toilette ») imprégné d'esprit de vin (alcool) ou de vinaigre, on se lave les mains, le visage. On se lave donc peu et on se parfume à outrance. On pense alors que le capiteux, le lourd et le musqué cachent les odeurs corporelles et aseptisent l'atmosphère. La notion de propreté passe par celle des vêtements : on changeait de vêtement six à huit fois par jour, voir plus souvent encore pour le Roi qui ouvrait au public sa vie, parfois la plus privé comme la toilette, jusqu’au entretiens accordés pendant que le Roi est sur son cabinet d’affaires !
Un appartement de bain fut installé par Louis XIV en 1675 au rez-de-chaussée du château. Toutefois, cette enfilade de vastes salles avec colonnes, dorures, dallages et parements de marbres polychrome, servait davantage comme appartement de réception que de lieu de toilette… dommage pour la grande baignoire octogonale monolithique en marbre rouge du Languedoc, aujourd’hui rare vestige de ces appartements disparus et installée depuis les années 30 dans la grande orangerie.
À la fin de sa vie, le roi, surnommé le « doux fleurant », se parfumait à la fleur d'oranger et il fallait prendre garde en s'approchant de lui, à ne pas lui chagriner les narines avec un parfum qu'il ne supportait plus. La belle-sœur du Roi, la princesse Palatine, femme plantureuse, usait et abusait des parfums capiteux. Sa traversée des galeries du château en était toujours remarquée.
En outre les demoiselles masquaient leur mauvaise haleine avec des plantes aromatiques telles que cannelle, clou de girofle, fenouil, menthe, marjolaine, thym, pouliot, fleur de lavande ou mélilot. Madame de Sévigné décrivit la toilette de la duchesse de Bourbon qui se frisait et se poudrait elle-même tout en mangeant : «…les mêmes doigts tiennent alternativement la houppe et le pain au pot, elle mange sa poudre et graisse ses cheveux ; le tout ensemble fait un fort bon déjeuner et une charmante coiffure… ». Les poudres se dissimulaient dans les coffres à vêtement ou sur soi dans des sachets.

Le retour en grâce de l’eau
Au XVIIIe siècle, et plus précisément après 1750, un profond changement de société s'opère. À travers les philosophes des Lumières et tout spécialement l'œuvre de Jean-Jacques Rousseau, une nouvelle sensibilité naît. On redécouvre les bienfaits de l'eau. Les femmes rejettent les artifices du Grand Siècle, les coiffures compliquées et les parfums trop forts. On recherche l'authentique et aux matières premières animales, on préfère les végétales. Les fleurs triomphent dans des parfums légers et délicats qui ne cachent plus la personnalité mais l'expriment et l'exaltent.
On se passionne pour l’eau de rose et l’eau de lavande qui sentent si frais ; la violette est reine. La beauté admet désormais l’imperfection, et la séduction passe par l’estime de soi.
La notion de bain se banalise alors. Pour Louis XV, la salle de bains est un lieu intime, facile à chauffer puisque bien isolée et entresolée. Selon l’usage, ces pièces sont dallées de marbre, et parfois équipées de deux baignoires placées côte à côte : l'une pour se savonner et l'autre pour se rincer. Les cuves étaient en cuivre, tapissées de linge pour ne pas irriter la peau. Deux robinets pour l'eau chaude et froide étaient reliés à deux réservoirs, dont un était chauffé, disposés dans l’entresol et alimentés par des valets (les « baigneurs-étuvistes ») tous les jours. Louis XV se faisait frotter avec un pain de Marseille. On se repose des fatigues du bain dans une autre pièce, la « chambre des bains » dans laquelle le roi étendu séchait à l’air libre ou se faisait masser et épiler. Les cheveux ne doivent pas être mouillés ; ils sont frisés au fer, coiffés pour être dégraissés. Il arrive que le temps manque pour la coiffure, alors on met la perruque. Les hommes se baignent nus, les femmes portent une longue chemise.
Les femmes aussi reçoivent pendant leur bain par leurs femmes de chambre, les baigneuses, qui préparent le « bain de modestie » (sachets de poudre d'amande, d'écorces d'orange, de racines d'iris parfumant le bain et assouplissant la peau), Elles le prennent le matin, le cérémonial de la toilette peut durer quatre heures pour la reine. C'est l'occasion de prendre des leçons de langue, de faire venir un professeur ou de recevoir sa société la plus intime. Le petit déjeuner n'existe pas alors, les gens ont coutume de prendre une collation, une tasse de liquide chaud durant le bain (thé au citron pour Marie-Antoinette). Les femmes ne se mouillent jamais les cheveux elles non plus, elles les font peigner parfois pendant des heures pour les dégraisser. Pendant le bain, elles les attachent avec une toile plus ou moins volumineuse appelée charlotte.
Les salles de bains ont souvent été déplacées, modifiées ou réinventées à mesure que progressaient les techniques du confort (eau courante, cabinet de chaise à l’anglaise). On ne connaît pas exactement le nombre qu’en abritait le Château, mais pendant la seconde partie du XVIIIe siècle, chaque membre de la famille royale avait la sienne.

Le bain de Marie-Antoinette
Marie-Antoinette possède plusieurs appartements des bains au sein même du château de Versailles. Un dans l’appartement intérieur contigu à son grand appartement et composé de trois petites pièces faciles à chauffer (salle du bain, chambre et cabinet de chaise), et une grande pièce des bains finie d’être aménagée quelques mois avant la Révolution, au sein de l’appartement en rez de cour, qui assurait les deux premières fonctions, et complétée par un petit cabinet de chaise éclairé en second jour. "Sa modestie était extrême dans tous les détails de sa toilette intérieure ; elle se baignait vêtue d’une longue robe de flanelle boutonnée jusqu’au col, et, tandis que ses baigneuses l’aidaient à sortir du bain, elle exigeait que l’on tînt devant elle un drap assez élevé pour empêcher ses femmes de l’apercevoir." (Extrait des Mémoires de Madame Campan). Lorsque l’on sait que la dernière salle des bains aménagée par la Reine prenait le jour au rez de cour de la cour de marbre, à hauteur de vue de tout un chacun, on comprend une telle pudeur.
Le bain est parfumé : " J'ai employé quatre onces d'amandes douces mondées, une livre d'Enula campana, une livre de pignons, quatre poignées de semences de lin, une once de racines de guimauve et une once d'oignons de lis. Je vous recommande ensuite de mettre à chauffer de l'eau de rivière, principalement de celle qui est passée sous la roue du moulin, suffisamment pour un bain, et lorsqu'elle est chaude à propos, de la jeter dans la cuve. La reine doit s'asseoir sur le grand sachet et servez-vous des deux autres, qui contiennent aussi du son, pour lui en frotter le corps." (Extrait de Jean-Louis Fargeon, parfumeur de Marie-Antoinette par Elisabeth de Feydeau).

La valse des sanitaires
Lorsque le château est déserté par la Cour à la fin du XVIII°s puis lors des transformations par Louis-Philippe en musée dédié « A toutes les gloires de la France », ces pièces de commodité sont toutes détruites. Peu de vestiges nous sont parvenus intacts : traces des robinets dans les lambris, vestiges des chaufferies d’entresol, poêle en faïence de la salle des bains de Mme du Barry retrouvé intact derrière une cloison.
Il est toutefois une anecdote intéressante : Louis XVI et Marie Antoinette avaient fait aménager pour leur usage privé des cabinets de chaise dits « à l’anglaise », de la plus haute modernité. En effet, ces sanitaires fixes, dans des pièces dédiées (fini la chaise percée mobile habillée d’un velours peu hygiénique) étaient en lambris d’acajou (bois d’importation imputrescible, très utilisé en Angleterre, d’où le nom) et équipés d’une canalisation qui permettait l’évacuation directe en fosse des matières sans avoir quelques seaux à vider et à promener dans les couloirs et les salons.
Ces lieux disparaissent après la Révolution mais sont restitués près de 50 ans plus tard, selon les plans du XVIII°s -tant leur modernité était encore d’actualité- pour l’usage de Louis Philippe et de la reine Marie Amélie, dans ce qui devient leurs appartements privés à Versailles, utilisés lors des réceptions qui peuvent être organisées dans le château.
A nouveau supprimés à la fin du second Empire par la France républicaine, les plans de ces sanitaires Louis Philippard ont été exhumés à la fin du XX°s pour permettre une nouvelle restitution sensée évoquer cette fois ceux en place à la fin de l’ancien régime et dont ils étaient la copie fidèle.

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